Palenque de San Basilio : Le Village Afro-Colombien au Patrimoine Culturel Unique

Les Palenqueras, symboles vivants du patrimoine colombien
Dans les ruelles du centre historique de Carthagène des Indes, ancien port négrier de la côte caraïbe colombienne, les Palenqueras attirent les visiteurs en arborant fièrement des robes aux couleurs du drapeau national. Pour un sourire, une danse ou une photo, elles demandent environ 5000 pesos (soit environ 1 franc), transformant ainsi leur tenue colorée en véritable image emblématique de cette destination touristique prisée d’Amérique latine.
Une tenue porteuse d’identité
Le costume de la Palenquera se présente comme un symbole fort de la Colombie. Ces femmes, originaires pour la majorité de Palenque de San Basilio, un village situé à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Carthagène, perpétuent une tradition culturelle profondément ancrée dans l’histoire.
Palenque de San Basilio : berceau d’une communauté afro-descendante
Composé d’environ 5000 habitants, ce village unique dans le département de Bolívar regroupe des descendants de marrons, ces anciens esclaves qui ont fui la colonisation espagnole pour créer une société autonome et préserver leur héritage africain. En Colombie, on estime à près de 30 000 le nombre de personnes issues de la communauté palenquera, avec des groupes similaires répartis dans plusieurs pays d’Amérique du Sud.
Un cadre qui rappelle l’Afrique de l’Ouest
Le village évoque, par certains aspects, un décor rappelant l’Afrique de l’Ouest. Des inscriptions telles que « Afrika » ou « Black Lives Matter » ornent les façades et les fresques murales. Au cœur de la place centrale, une statue de Benkos Biohó, principal fondateur de la communauté au début du XVIIe siècle, fait face aux passants. Ce bronze illustre un leader historique qui s’est battu pour la liberté avant d’être martyrisé en 1621, symbolisant la lutte contre l’esclavage et l’aspiration à un lien avec le continent africain.
Tourisme et préservation culturelle
Si le développement touristique est relativement récent, il a progressivement été perçu comme un moyen de valoriser la culture locale, alors qu’il suscitait d’abord des craintes quant à une possible perte d’identité. Nuno Benbele, conseiller municipal chargé de l’éducation et musicien de 38 ans, explique que la communauté s’efforce aujourd’hui de promouvoir et défendre sa richesse culturelle. Il souligne également que, même si les noms de famille locaux sont généralement d’origine européenne, la réappropriation identitaire passe par le choix de patronymes à consonance africaine.
Première société autonome d’Amérique
En 1713, après des années de conflits, un accord entre les Palenqueros et la couronne espagnole leur a accordé la liberté et une autonomie conditionnée par leur conversion au catholicisme. Ce statut fait de Palenque de San Basilio la première communauté autonome en Amérique, s’émancipant avant les indépendances des États-Unis et d’Haïti.
Cette particularité se manifeste également dans les pratiques contemporaines : les Palenqueros sont propriétaires de leur territoire, ne paient pas d’impôts à l’État, n’ont pas d’obligation de service militaire obligatoire, qui touche généralement les Colombiens à partir de 16 ans, et disposent d’une police locale. Leur société, étroitement liée, connaît par ailleurs peu de problèmes liés à la criminalité, selon les autorités locales.
Culture vivante : langue, gastronomie et médecine traditionnelle
La langue des habitants, un créole mêlant espagnol et portugais, constitue un des marqueurs culturels essentiels. Cette diversité s’exprime aussi dans la cuisine locale, qui fusionne saveurs ouest-africaines et colombiennes, ainsi que dans une médecine traditionnelle encore très pratiquée au sein du village, notamment dans un dispensaire jouxtant l’église. Nuno Benbele cite plusieurs plantes médicinales utilisées dans cette pharmacopée ancestrale, qu’il associe à une immunité collective qui aurait contribué à protéger la communauté durant la pandémie de Covid-19.
Ces traditions sont régulièrement présentées aux visiteurs sous la forme d’ateliers participatifs, proposant une immersion authentique dans les coutumes palenqueras.
Une ouverture progressive au monde extérieur
Jusqu’au début du XXe siècle, Palenque de San Basilio vivait en relative autarcie. La crise économique mondiale de 1929 a poussé les jeunes générations à apprendre l’espagnol afin de saisir des opportunités professionnelles. Le recours à l’anglais reste toutefois très limité, principalement réservé aux guides touristiques et aux visiteurs internationaux.
Une destination privilégiée pour le tourisme afro-caribéen
Ce modèle de tourisme culturel, apaisé et respectueux, contraste avec l’animation intense de la vieille ville de Carthagène. Il attire notamment des visiteurs afro-descendants. Par exemple, lors d’une visite en août 2025, une famille originaire de Pennsylvanie observait avec intérêt les richesses patrimoniales afro-caribéennes illustrées à Palenque. Ce témoignage s’inscrit dans une reconnaissance plus large, matérialisée par l’inscription de la communauté sur la liste du patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2008.
Ce reportage a été réalisé avec le soutien de ProColombia et Edelweiss, la compagnie aérienne suisse assurant des liaisons directes entre Zurich et Carthagène ainsi que Zurich et Bogota, avec deux vols hebdomadaires sans escale de la période octobre-avril.